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Une recension du Profit déchiffré par Didier Epsztajn


Derrière les tautologies, des rapports sociaux d’exploitation
« Qu’est-ce que le profit ? Par quoi, et surtout par qui, est-il créé ? Quels mécanismes régissent sa répartition, et comment contribuent-ils à obscurcir son origine ? » 
Il convient de ne pas considérer les réalités perçues comme allant de soi, de refuser la naturalisation de phénomènes historiques, de confondre ce qui est et ce qui n’est pas « le fruit d’une élaboration consciente » de collectifs humains… 
Trois essais, sur l’origine du profit, les concepts de travail productif et improductif, la rente. Des textes écrits en langue commune, une présentation pédagogique mais qui ne contourne pas les débats politiques.
L’énigme du profit. Christophe Darmangeat aborde, entre autres, la production marchande, la production et la distribution, le salaire (dont la part socialisé à travers la cotisation), le profit, les impôts, le capital…
Constater le profit n’explique rien, dire que l’on « vend plus cher la production qu’elle n’a couté » n’explique rien… En comptabilité constater la valeur ajoutée n’explique rien non plus. Il faut sortir des tautologies et chercher des explications. rendre compte des rapports sociaux et de leurs effets. « La question revient à déterminer quelle est la substance commune à ces différents facteurs, dont la quantité s’accroit au cours de la production et qui est mesurée par l’argent ». L’auteur passe en revue les explications historiques de penseurs économistes et présente les élaborations de Karl Marx : exploitation, salaire comme prix de la capacité de travail et non comme prix du travail, comme prix de la force de travail, travail gratuit, « tout salarié passe une partie de son temps de travail à produire de la valeur sans contrepartie. Le profit a pour origine l’appropriation de travail gratuit », contrainte économique et contrainte extra-économique, salarié comme individu libre (sur une face cachée de ce libre, comme sur la force de travail abordée plus loin, je renvoie à mes notes de lecture de Contre Temps N°21, 2ème trimestre 2014 (Les Cahiers de l’émancipation : Prolétariat, vous avez dit prolétariat ?), comme-si-les-lendemains-qui-chantent-imposeraient-un-present-qui-dechante/ et Antoine Artous, Tran Hai Hac, José Luis Solis Gonzalez, Pierre Salama : Nature de l’Etat capitaliste. Analyses marxistes contemporaines, une-contradiction-politique-fondamentale-inscrite-au-sein-meme-des-rapports-capitalistes-de-production/)
Travail gratuit, plus value, de la plus-value au profit, capitalisme comme société historique de classe… Christophe Darmangeat aborde aussi des débats autour de ces questions. 
Utile le profit ? L’auteur souligne les simplifications autour de cette question, les énoncés en défense d’intérêts bien particuliers. Il analyse, entre autres, les rapports entre profit et emplois, entre profit et investissements, entre profit et luxe, entre profit et innovation, entre profit et développement économique. Loin des visions enchantées (et égoïstes), le mouvement historique du capitalisme… « Ce ne sont pas les excès du profit qui accablent la majeure partie de l’humanité, mais son existence et sa logique mêmes »
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Christophe Darmangeat aborde les questions du « travail productif » et du « travail improductif », les définitions de ce quoi « ledit travail est censé être productif ou improductif », la portée de cette distinction, les analyses parfois contradictoires de Karl Marx… (en complément possible, et en particulier son dernier chapitre, Isaak I. Roubine : Essais sur la théorie de la valeur de Marx, le-marxisme-nest-pas-un-economisme/). 
Travail salarié, travail social, travailleur collectif, « détermination purement sociale » du travail productif (Nous sommes loin des simplifications et des divisions binaires sur la production matérielle et immatérielle, « Chez K. Marx le travail productif se définit en dehors de toute référence à son contenu matériel »), notion de « service », soumission formelle du travail au capital, sphère de la circulation, exploitation capitaliste… L’auteur propose une « classification ternaire » (page 131) qui mériterait débat. Des discussions à reprendre… 
S’il évoque l’exploitation des femmes dans le cadre domestique, cette partie reste à mes yeux un point aveugle de multiples pensées marxiennes. Il ne s’agit pas seulement d’un moment d’analyse mais bien de la compréhension des mécanismes de (re)production d’un système et donc des possibilités/conditions mêmes de mobilisation des premières concernées (voir plus haut les notes de lectures déjà citées). 
Dans la troisième partie, consacrée à la rente, Christophe Darmangeat présente de manière très claire les analyses de Karl Marx sur la rente foncière. 
Ressources non reproductibles et monopolisées, différentiel de productivité, rente et profit, droit de propriété, péréquation des taux de profits, partage entre intérêts et profits, rente différentielle, inégales conditions de mise en oeuvre des capitaux, « complication de la loi de la valeur »… L’auteur n’en reste pas à la rente foncière, il montre l’intérêt de ces analyses pour comprendre des phénomènes plus contemporains comme la rente pétrolière ou immobilière. 
Une approche pédagogique aux débats, une invitation à approfondir pour comprendre les fonctionnements et les contradictions du système de production capitaliste (mais pas seulement). Une introduction possible à la critique de l’économie politique.
Christophe Darmangeat : Le profit déchiffré – Trois essais d’économie marxiste. La Ville Brûle, Paris 2016, 224 pages, 15 euros 
Didier Epsztajn

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